Exposition de François Rieux, peintre – Château de Verchaüs, du 26 août au 16 octobre 2016

L’exposition de François Rieux : une peinture des corps, du mouvement : et de l’enfermement ?

L’exposition  de François Rieux, peintre expressionniste, suit celle de Franck NA au château de Verchaüs, et débute le 26 août pour s’achever le 15 octobre 2016.

 www.francoisrieux.com Les matriculés, François Rieux, 2015
Les matriculés – François Rieux, 2015 ©

Originaire de la région lyonnaise, François Rieux, diplômé d’une école d’arts graphiques de Lyon est à la fois graphiste et peintre. Installé un temps à Miribel à proximité de Lyon, il développe son art au fil de ses pérégrinations qui l’amènent en Ardèche. Depuis 2011, il vit ainsi dans les environs de Privas, sur les hauteurs d’où il domine la ville et la vallée de l’Ouvèze. Peintre prolifique, son travail pictural est marqué par différentes périodes. Parce qu’il se bâtit autour de différentes séries de toiles, le plus souvent travaillées parallèlement. Mêmes objets, mêmes techniques, mêmes rendus produits en parallèle, recherches sur les variations, qui forment autant de séries de clichés qui finissent par construire des leitmotivs. Ils ordonnent son travail en autant de thèmes qui s’élaborent progressivement, comme des ensembles dont la cohérence émerge et se structure au fil de ses explorations picturales. Dans ces périodes, se distingue donc au fil du temps des séries comme les hommes pierre, les corps en mouvement, le couple, les pochoirs, les portraits, etc.

A ce titre, l’exposition de François Rieux au château de Verchaüs propose un ensemble de toiles composées par plusieurs séries les plus récentes : la mémoire, les corps en mouvements, , les chimères, portraits, les esprits, Marie Durand et l’enfermement. Ce qui fait commun dans la peinture de François Rieux, c’est le corps et la pesanteur des corps, marquée par la pesanteur des techniques picturales employées, du résultat obtenu au final. Mais en même temps, de ce résultat sourd une forme de légèreté, d’évanescence qui s’attachent à la manière dont il donne à voir à travers les corps, un en-deçà, un au-delà, un « derrière-ça ». Ce qui fait commun également, ce sont les teintes et les tons employés : des couleurs chairs, rouges, roses, des blancs blafards, des couleurs lourdes, marrons, gris, noirs ; des fonds termes, ou à l’opposé, vifs, éclatants, etc.

Alcide, François Rieux 2015
Alcide, François Rieux, 2015 ©

Le travail de François Rieux a largement évolué durant cette quinzaine d’années, depuis la fin de son cursus artistique. En tout cas aujourd’hui, ses toiles sont caractérisées par un travail sur la matière, faites par couches successives de couleurs, de crevasses, presque d’empatements ; des toiles travaillées à partir de va-et-vient, de touches rapides, jetées dans un mouvement vif, convulsif, parfois violent, rendant sur la toile le mouvement des corps, leurs violences, etc., leur vibrations, l’expression d’un au-delà du corps.

Mouvements violents, donc, du peintre peignant et qui rendent vivants et violents les mouvements des corps peints. Les toiles sont ainsi pleines de matières, elles rendent des formes, en donnant matière à la matière des corps et des formes peintes. Du chaos des coups donnés pour construire par l’amoncèlement des couches picturales successives, émergent, d’une façon particulièrement puissante, les corps marqués à la fois par une lourdeur et une vibration qui nous donne malgré cela l’impression d’une élévation, d’une évanation dans la pesanteur du fond ambiant.

Dualité du massif et d’une forme de légèreté, de subtilité de ce mouvement des corps, que renforce l’agencement des teintes et des couleurs, des traits marquant la démultiplication du corps, de ses limites incertaines, multiples, etc. Ces corps montrent-ils l’enfermement ou bien l’évasion : mais l’évasion de quoi ?

Des sujets exaltant une fine vibration des corps : comme une métamorphose de l’être ?

Sans titre, François Rieux 2015
Sans titre, François Rieux, 2015 ©

Une certaine anamorphose des formes et en particulier des corps qui sont démultipliés, éclatés en lignes, en touches multiples donnant en même temps une impression de mouvement, de vibration, de superposition, de décomposition. Des êtres et des corps qui semblent à la fois vouloir sortir d’eux-mêmes, pris dans leur limites, des corps limités et des êtres à la fois justement dé-limités, sortant de leurs limites. Une peinture qui donne à voir une violence, une violence du corps pour l’être, son propre être à la recherche d’un peu plus que ce faible espace qu’il occupe déjà.

La peinture semble ainsi interroger pour nous la dualité de l’immanent et du transcendant à travers l’exemple des corps et de ces êtres. A l’immanence apparente des corps, délimités par leurs limites physiques, charnelles, François Rieux propose une peinture des formes corporelles transcendantales, qui laisse apercevoir une recherche d’un au-delà du corps. Transcendance – immanente qui nous attache cependant au corps, à la fois lesté et léger, enfermé et ouvert, fixe et vibrant, méta-morphosés, ou en cours de métamorphose.

Sans titre, François Rieux, 2015
Sans titre, François Rieux, 2015 ©

Il y a une force profonde dans la manière de peindre de François Rieux qui est liée à sa capacité déconcertante à rendre – au milieu du chaos qu’il crée, en déstructurant les limites des corps, les démultipliant dans cette vibration sourde de diverses limites évanescentes – dans la manière et la matière dont, de ce chaos de lignes, de couleurs, de traits, surgissent, émergent, la force, la forme du message ressenti qu’ils véhiculent : à la fois mouvements et corps figés et limités et limites dépassées, dépassables, déplacements, espacés, espectés, et volonté de dépassement, de déplacement, et à la fois enfermement, etc. Le tout dans un tourbillon de questionnements qui s’engendrent mutuellement : est-il là ce corps ? Unique, multiple ? Ou bien, est-il déjà ailleurs ? Multiplié, au-delà, en deçà ? Combien sont-ils ? Vibre-t-il ? Est-ce l’air qui le fait vibrer ? Cherche-t-il à se libérer et alors par quoi est-il enchaîné ? L’est-il seulement ? S’est-il déjà libéré ? Est-il son propre enfermement ? Sa propre prison ? Etc.

Une vibration comme une métaphore d’un langage interprétatif des corps et des êtres ?

Sourde colère, 2015
Sourde colère, François Rieux 2015 ©

Le texte qui suit est une tentative d’analyse « picturo-sociologique » de la peinture de François Rieux ! Nous voudrions, pour étayer ce travail, faire un court détour théorique sur des formes de compréhension du processus d’interprétation que proposent certains paradigmes sociologiques ou anthropologiques, en particulier du côté de l’« anthropologie interprétative » (proposée par l’anthropologue Clifford Geertz). Pourquoi ce détour ? Parce que, comme nous le mettrons tout de suite après en évidence, il s’agit avant tout ici de culture et donc d’interprétation : et que l’anthropologie interprétative de Geertz va ainsi nous servir de « microscope » pour venir observer de plus prêt le travail de François Rieux.

Dans la perspective de Geertz, l’interprétation correspond au rejet d’une connaissance perçue comme une « connaissance objective », imposant qu’une proposition se conforme à une chose et inversement (Geertz se réfère à Gadamer pour qui « l’objectivisme est une illusion », 1996, pp.73-74).  Pour Geertz, les faits culturels sont d’abord des faits de signification1, ce qui implique que le travail ethnographique soit un travail d’interprétation, en particulier d’interprétation des « cadres d’interprétation » (Geertz, 1972), que les acteurs mobilisent dans les expériences dans lesquels ils sont engagés (cf. la parabole de la razzia des moutons que Geertz propose dans l’introduction de Interpretation of Cultures). Pour donner à voir cette manière de construire une interprétation ethnographique d’une expérience sociale, on peut mettre en avant la manière dont Jérôme Beauchez la mobilise dans son propre travail ethnographique, à partir du texte La dispute des forts (2010). Il cherche à y montrer cette « description dense » que propose Geertz (1972) en mettant en évidence dans la description ethnographique la manière dont tous les protagonistes directs et indirects d’une situation « trament une structure invisible d’interactions » (op. cit., p.128), et donc une profondeur des situations décrites qui ne se réduisent pas comme le dit Beauchez « aux seuls corps de la dispute » (ibidem), dans le cas du combat de boxe qu’il étudie.

Pour Geertz, il faut entendre la culture comme :«un modèle de significations incarnées dans des symboles qui sont transmis à travers l’histoire, un système de conceptions héritées qui s’expriment symboliquement, et au moyen desquelles les hommes communiquent, perpétuent et développent leur connaissance de la vie et leurs attitudes devant elle » (Geertz, 1972, p.20). Dans la culture, ce sont les formes symboliques qui vont structurer l’expérience vécue des individus. Pour lui un symbole c’est : « tout objet, acte, événement, propriété ou relation qui sert de véhicule à un concept », (Ibidem, p.24). Pour Geertz, la Culture c’est donc moins « un ensemble de coutumes et d’institutions, que d’interprétations que les membres d’une société donnent de leur expérience, de constructions qu’ils édifient par-dessus les éléments qu’ils vivent, il ne s’agit pas seulement de comprendre comment les gens se comportent, mais comment ils voient les choses » (Geertz, 1983, p. 105).

Description fine et description dense de Geertz

Sans-titre, François Rieux, 2015
Sans-titre, François Rieux, 2015 ©

Il faut lire et prendre comme exemple ici la description que fait Beauchez dans l’article précédemment cité du « texte » et du « contexte » des combats de galas de boxe (les combats de Medhi et de Boris). Description qui est « exemplaire » de ce travail où se tissent et s’entrecroisent la description directe de l’expérience (description en proximité avec l’expérience, correspondant à la Thin description de Geertz (i.e. la « description mince »)) et l’interprétation ethnographique « concomitante » dans une « description dense » des situations montrées (en lisant, on peut « voir » les corps et les situations…) : en particulier la description commençant à la fin de la page 129 et qui finit au début de la page 133, mais qui se poursuit en fait dans la suite du texte, jusqu’à la conclusion qui finalise cette « description dense », en relevant l’épaisseur de la superposition entrecroisée des espaces sociaux connexes que constituent le monde de la boxe présenté, et comment les enjeux propres à chacun de ces enjeux informent et interagissent avec les autres espaces.

La densité de la description semble ainsi reposer sur l’épaisseur des espaces mis en évidence, mis en correspondance, la manière dont ils interagissent les uns avec/sur les autres, la mise en évidence des cadres d’interprétation qu’ils permettent pour les différents acteurs de la situation sociale, à partir de la mise en évidence de quels acteurs sont interconnectés dans la situation (l’intelligibilité globale du combat de boxe ne peut se faire par exemple, que si sont mis en lumière quels autres acteurs et comment ils interagissent plus ou moins indirectement dans la situation sociale immédiatement donnée).

Ce que Jérôme Beauchez fait en près de quatre pages d’une description dense et fine de la réalité d’un gala de boxe, dans une description d’une virtuosité anthropologique prenante, François Rieux le fait finalement très simplement, à sa propre manière, en nous tendant le miroir de chacun de ses tableaux, sans une phrase, sans un mot. « Regarde-toi passant dans ce miroir… ». Une description dense et fine des corps en mouvement, des corps enfermés, des corps désirant, des corps enchâssés…Dans chacun des deux cas, quelques miliers de signes, écrits ou peints « dessinent » toute la densité et la finesse d’une présenc anthropologique.

De quoi la peinture de François Rieux est-elle le don ?

Pour parodier la formule devenue passe-partout, on peut dans un premier temps s’intéresser, pour faire ce travail d’interprétation et de sens, aux formes de parentés qu’entretient la peinture de François Rieux avec d’autres formes picturales.

Mother and Child Madonna), Egon Schiele
Mother and Child Madonna), Egon Schiele, 1908 – (Ɔ) Domaine public Source : http://www.wikiart.org/en/egon-schiele/mother-and-child-madonna-1908

Dans une article de presse, il utilise l’expression « atteindre le souffle qui sourd en moi ». Il y a effectivement quelque chose qui sourd des œuvres de François Rieux : quelque chose de difficilement palpable, d’indescriptible. Un peu comme dans l’œuvre « Le cri » où Edvard Munch arrive à faire sourdre de son tableau tout l’effroi qu’exprime ce personnage par son cri. Si c’est évidemment le propre de la peinture expressionniste, François Rieux réussi très bien à transmettre à travers ses toile une impression, une expression, un message subliminal, un infra-message, une sorte d »infra-monde, où quelque chose se déploie pour nous dire un au-delà de ce que qui se trouve seulement devant soi, sans jamais tout à fait être sûr de pouvoir le toucher vraiment : est-ce vraiment là ou bien n’est-ce qu’une illusion projetée ? C’est toute l’évanescence de ce travail, et à la fois sa force. Les tableaux de François Rieux, sont en quelque sorte des « tableaux augmentés » comme on parle aujourd’hui de « réalité augmentée ». Ils sont des véhiculent à l’interprétation, ils nous lancent le défit de l’interprétation (cf. ci-après). C’est un expressionniste : d’accord. Mais ça fonctionne.

On peut retrouver dans la peinture de François Rieux des similitudes avec d’autres travaux de peintres expressionnistes, en particulier ceux qui ont beaucoup travaillé sur les corps : le français Maurice Rocher, les allemands Fritz Bleyl ou Georg Baselitz, ou encore l’autrichien Egon Schiele, même si le travail de François Rieux est tout à fait original, dans ce qu’il propose. Il y a en particulier une certaine similitude picturale avec les travaux de Maurice Rocher, peintre expressionniste français du XXe siècle.

Maurice Rocher, Ange Noir n°2 Couple 231, 1989, © Copyright 2013 Famille Rocher, http://www.maurice-rocher.com/
Maurice Rocher, Ange Noir n°2 Couple 231, 1989, © Copyright 2013 Famille Rocher, http://www.maurice-rocher.com/

Une similitude, liée aux teintes employées pour montrer les corps ; des corps, chez Maurice Rocher, comme chez François Rieux aux limites et aux contours flous : des corps, distordus, des corps plus-que-des-corps, … Maurice Rocher dont les toiles sont ainsi caractérisées par ses sujets religieux et en particulier des séries d’œuvres montrant la crucifixion des corps. Des similitudes ou du moins des filiations également avec les œuvres d’Egon Schiele, comme avec cette Vierge à l’Enfant que l’artiste peint au début du XXe siècle, et qui annonce la série des mères mortes, qui véhicule des thème de l’enserrement, de l’étreinte, de l’enfermement.

Trouble, 2015
Trouble, François Rieux, 2015 ©

Si François Rieux ne traite pas directement ce type de sujet religieux, il y a là malgré tout une forme de mystique des corps et l’expression de formes de transcendances du corps, même si elle n’est pas liée à ces thèmes. Cette forme de mystique, ou de mystère des sujets s’exprime ainsi à partir de l’expression de vibrations démultipliées des corps qui s’étendent à l’espace immédiat, où leurs limites se multiplient, s’emmêlent, créent des interstices, des démultiplications des formes, une vibration engendrante de l’être, qui les fait sortir de leurs limites corporelles.

Ou, tout du moins, où le corps joue autour de lui, s’étend, s’épanche, veut, cherche à sortir de lui-même, vibrant dans cette recherche vers un plus, un point, une volonté, une puissance extérieurs à lui-même. Plusieurs pistes de lectures peuvent être données dans ce processus de « sortie des corps ». On l’a dit la peinture nous montre la variation, l’évasion, la vibration : le mouvement, les possibles !!

Est-ce ainsi l’être qui chercherait à sortir du corps ? Un être donc prisonnier de ce corps, qui cherche un ailleurs, un plus loin, un meilleur, un plus grand, un au-delà ou un haut-delà. Est-ce l’être, le corps, l’humain, qui cherche à devenir plus que ce qu’il est ? Vers un « surhumain » à la Nietzsche ? Il y a en effet quelque chose de nietzschéen dans la dualité de ce corps plus qu’un corps, de cet être, souvent seul, qui semble vouloir être plus qu’un être – plus que les autres êtres ? – et dans le résultat final que donne à voir la peinture de François Rieux, dans la décrépitude, la déliquescence, le sentiment de délabrement qu’ils donnent à voir.

Ou à l’opposé, On serait confronté dans une lecture complétement inverse, que ne fait pas François Rieux de son œuvre (lorsqu’il en parle), mais qui représente malgré tout une interprétation possible vers non pas un plus du corps, un sur-corps, une transcendance, mais plutôt vers un sous-corps, un infra, un en-deça. Un point de fuite vers l’immanence plutôt que vers la transcendance. Par exemple, vers une cessation métempirique à la Jankélévitch présageant un message délivré sur la mort, sa conceptualisation, son importance métaphysique, la tragédie absolue d’un phénomène relatif, l’anéantissement total du corps…. Que l’interprétation de l’œuvre se fasse sur ce plan ou bien, sur le thème précédent toujours jankélévitchien, concernant cette limitation que nous impose le corps, et la volonté d’en sortir, qu’exprime la peinture de François Rieux, répondant à « la volition devenue fibreuse [qui] se dédouble, se démultiplie, se fendille » (Jankélévitch , Je ne sais quoi, 1957). C’est sûr, la peinture de François Rieux est une peinture de la volition, la manifestation d’une volonté, mais une volonté fibreuse, démultipliée qui se fendille devant la puissance nécessaire à cet au-delà du corps que réclame l’être. Que cette interprétation soit bonne ou pas, il y a dans tous les cas de fortes résonances possibles, des lectures parallèles, entre la philosophie de Jankélévitch et les œuvres de François Rieux.

La volition, une clé d’interprétation d’une peinture comme métaphore de la métaphore

Figure absente
Figure absente, François Rieux ©

François Rieux cherche ainsi un langage du corps, des corps, un corps-pluriel, un corps-démultiplié, et un corps de l’écart entre l’être et le vouloir : langage qui à travers une esthétique de ce qu’exprime cet être voulant, ce possible impalpable, cet métamorphose des corps en volition, cette métaphore du vouloir. Et lorsque le vouloir est là, la question du désir n’est jamais très loin. Toute pratique culturelle est immergée dans son temps : que nous dit la peinture de François sur notre temps et notre société et son rapport au vouloir ? Quel être social est-ce là que ces êtres déchirés, dé-structurés, qui cherchent à sortir d’eux-mêmes ; qui veulent désespéramment, qui veulent au désespoir… sont-ils accablés du désir de la consommation spectaculaire marchande (Debord) qui emplie notre société post-industrielle ? Ce n’est pas la lecture qui semble être proposée, même si on ne peut jamais écarter une interprétation, de façon définitive. Est-ce une figure de l’aliénation marxiste que le peintre cherche à décrire encore et encore à travers son œuvre : une recherche montrant en quoi l’aliénation marxiste en nous tendant le masque d’une nature humaine, caractérisée par la dépossession de soi et de son travail (bien que Marx mette ce concept en permanence en tension, en plaçant au cœur dans sa théorie le pouvoir d’auto-création de l’homme, supposément capable de se transformer lui-même tout le monde il le fait du monde à travers son travail) ? Une partie du marxisme a consister à chercher à dépasser l’aliénation centrée sur le travail et le fétichisme de la marchandise, à travers une « critique artiste », où il s’agit de se réapproprier le produit de son activité, puisque l’aliénation du travailleur l’en dépossède, le sépare de son produit et le transforme dans un rapport entre choses. Serait-ce don une figue de cette « critique artiste » de l’aliénation dont il est question ici ? Là encore, c’est une interprétation possible, mais ce n’est pas la lecture qui semble être faite, car François Rieux ne semble pas adopter une lecture marxiste du monde, dans son travail. De quoi est-ce alors la métaphore ? Perplexité. Et si…. Et si c’était une métaphore de la métaphore ? Une métaphore sur ce que représente la métaphore dans notre société, c’est-à-dire l’expression d’un message qui se fonde sur le transfert à une entité sociale d’un terme qui en désigne une autre ?Pourquoi une métaphore de la métaphore ? Parce que la métaphore est la bonne manière de décrire ce que la société hyper-moderne, nous propose jour après jour, instant après instant, à travers internet, les nouveaux médias, les réseaux sociaux, l’ubérisation, etc. : le miroir renvoyé, et désirant remplacer la réalité même, qu’il n’est supposé que, seulement, refléter. La métaphore serait devenue l’épistémé – comme dirait Foucault – dominante de notre société hyper-moderne. C’est une interprétation, pas suffisamment dense et fine : une ébauche d’interprétation… qu’il nous faudra poursuivre.

Au final, s’il est difficile de conclure, n’ayant esquissé là que quelques pistes de décodage, la peinture de François Rieux est selon nous en tout cas, et ce n’est qu’une lecture possible,  une machine à proposer des sens multiples, à démultiplier les pistes comme elle dé-multiplie les corps : à proposer une esthétique de la métaphore, et ce de manière picturale. Une peinture qui propose donc une métaphore de la métaphore, plus que de la métamorphose. Même si le thème de la métamorphose des corps sous-tend le langage de François Rieux. C’est le propre de notre société contemporaine de changer de paradigme sur les sens possibles que nous nous donnons à nous-mêmes, passant d’une phénoménologie du sens monocorde, à l’appréhension multiple du monde vue à travers une variabilité des sens possibles se dégageant de la réalité, pour pouvoir l’appréhender dans sa complexité.


  1. Geertz met en avant, dans l’introduction du livre Interpretation of Cultures, une conception de la culture basée sur la croyance que « l’homme [étant] un animal pris dans les réseaux de signifiance qu’il a lui-même tissés, » il faut considérer « la culture comme assimilable à une toile d’araignée, et par la suite son analyse [comme] relevant non d’une science expérimentale en quête de loi, mais d’une science interprétative en quête de sens », (Geertz, 1998).

Éléments de bibliographie

Beauchez, Jérôme (2010). « La dispute des forts : une anthropologie des combats de boxe ordinaire ». In, Anthropologica, n°52, pp.127-139.

Gadamer, Hans-Georg (1996). Le Problème de la conscience historique. Paris, Seuil [1963].

Geertz, Clifford (1972). « La religion comme système culturel », Essais d’anthropologie religieuse, Paris, Gallimard, [1966], pp.19-66.

Geertz, Clifford (1983). Bali : interprétation d’une culture, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », [1973].

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